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Pink Floyd, E.T., Gérard Depardieu… Le cinéaste Barbet Schroeder se confie

Barbet Schroeder en 2017

Barbet Schroeder en 2017 - Joel Saget - AFP

ENTRETIEN - Le cinéaste, à l’honneur au Centre Pompidou, raconte à BFMTV.com ses rencontres avec Pink Floyd et Gérard Depardieu et comment un de ses films a inspiré E.T. de Steven Spielberg.

En ce mois de mai, Barbet Schroeder est sur tous les fronts: au Centre Pompidou, qui lui consacre une rétrospective, et à Cannes, où il présentera le 20 mai Le Vénérable W., un documentaire consacré au moine bouddhiste extrémiste U Wirathu. Ce double événement s’accompagne, grâce au distributeur Carlotta, de la ressortie en version restaurée de ses entretiens filmés avec l’écrivain Charles Bukowski, ainsi que de cinq de ses films: Général Ali Amin Dada, autoportrait (1974), Maîtresse (1976), Koko, le gorille qui parle (1978), Tricheurs (1984) et La Vierge des tueurs (1999).

Depuis les années 1960, Barbet Schroeder a réalisé une vingtaine de films, dont un tiers à Hollywood. Là-bas, il a travaillé avec des stars comme Meryl Streep ou Ryan Gosling et a mis en scène plusieurs films restés cultes: Barfly (1987), Le Mystère von Bülow (1990), JF partagerait appartement (1992)... Cet admirateur de James Cameron et d’Avatar a aussi été acteur dans les films de ses amis. Les amateurs de Wes Anderson se souviendront peut-être de l’avoir aperçu dans A bord du Darjeeling Limited (2007). Place à Barbet Schroeder qui commente six œuvres marquantes de sa carrière

Travailler avec Pink Floyd sur More (1969)

"J’ai tourné More dans le secret le plus absolu à Ibiza. Le sujet, la drogue, était très tabou à l’époque. D’ailleurs, le film ne pouvait pas être français. S’il avait été tourné en France, il aurait été interdit non seulement à l’exploitation - ce qui est arrivé -, mais aussi à l’exportation. Personne ne l’aurait vu. C’est pour cette raison que c’est un film luxembourgeois. Quand j’ai dû choisir un groupe pour la musique du film, j’ai rêvé que ce soit Pink Floyd, mon groupe favori. À l’époque, ils n’étaient pas des superstars. On pouvait les approcher. Je leur ai donc demandé si je pouvais leur envoyer le premier montage de More qui était muet, parce que le film avait été tourné sans le son direct. Ils l’ont vu à Londres et ils ont accepté. La musique de Pink Floyd n’était pas du tout considérée comme de la musique de film, mais comme la musique que les personnages du film étaient en train d’écouter. Cela a été fantastique de les voir travailler. Tout a été composé, interprété et mis dans la boîte en moins de quinze jours. Ils étaient furieux après. Le succès de More a été énorme et tout d’un coup, cette musique faite à toute vitesse avait plus de succès que les morceaux qu’ils avaient vraiment soignés. C’était amusant. Je leur ai demandé ensuite de faire la musique de mon second film, La Vallée."

Général Idi Amin Dada, autoportrait
Général Idi Amin Dada, autoportrait © 1974 Les films du Losange. Tous droits réservés.

Général Ali Amin Dada, autoportrait (1974)

"Amin Dada [chef de l'État ougandais entre 1971 et 1979, NDLR] a paradoxalement un côté très innocent: il est joyeux, il n’a pas conscience de ce qu’il fait. Il n’a certainement pas mauvaise conscience, mais il a un côté animal, il sait réagir quand il voit que les gens sont contre lui. Là, il est très dangereux. Autrement, il est comme un jeune éléphant dans la savane. Dans la scène située à la fin du film où il fait une course de natation, on voit bien qu’il est un peu innocent. Si on était son ennemi ou qu’on habitait l’Ouganda, on risquait de se retrouver aux crocodiles, ça c’est sûr. Le danger de tourner avec Amin Dada, c’est le nombre d’attentats qu’il y a eu contre sa vie. Il y en a eu dix-huit. Si je le filmais le jour où il y avait une bombe… c’était ça, le risque principal. Sinon, pour lui, j’étais en train de faire un film de propagande. Ce n’était pas quelque chose de dangereux pour lui."

"Maîtresse"
"Maîtresse" © 1976 Les films du Losange - Tous droits réservés.

Dans Maîtresse (1976), il est l’un des premiers à filmer le sadomasochisme

"Les clients qui apparaissent à l’écran sont de véritables clients adeptes de sadomasochisme. Ils ne savaient pas ce qui les attendaient. Ils suivaient aveuglément leur maîtresse, qui leur avait dit qu’elle allait les amener à des sessions inhabituelles. On a tout fait pour qu’on ne puisse pas les reconnaître à l’image. Tout ce qui est montré à l’écran est vrai. Ces scènes, cette partie documentaire sont tellement fortes qu’elles risquaient de dévoyer la fiction. C’est le genre de risque que j’aime faire. Gérard Depardieu, dont c’était les débuts, joue le rôle principal avec Bulle Ogier. Il était merveilleux, comme dans Les Valseuses. C’est la même époque."

"Koko, le gorille qui parle"
"Koko, le gorille qui parle" © 1977 Les films du Losange - INA. Tous droits réservés.

Son documentaire Koko, le gorille qui parle (1978) a inspiré E.T. de Steven Spielberg

"Le sujet de Koko, c’est: 'une personne non humaine a-t-elle des droits?' J’étais ami avec la scénariste d’E.T. [Melissa Mathison, NDLR]. Elle était à Cannes quand j’ai présenté Koko. Elle était fascinée par le film et est allée le voir deux fois. Je sais qu’à ce moment-là elle était en train de commencer à travailler sur E.T. J’ai découvert après qu’E.T. était une personne non humaine et le film se demandait si une personne non humaine pouvait disposer de certains droits et devait être considérée différemment d’un animal. Nous sommes des mammifères. Si d’autres mammifères ont des émotions et souffrent, est-ce que ce sont des personnes non-humaines? Le droit des animaux est à mon avis le mouvement social des dix prochaines années."

"Tricheurs"
"Tricheurs" © 1983 Les Films du Losange - France 3 - Tous droits réservés.

Travailler avec Jacques Dutronc pour Tricheurs (1983)

"Je pensais qu’il était très proche d’un personnage un peu nihiliste, un peu anarchiste. Il était très copain avec Gainsbourg. Le personnage de Tricheurs [un flambeur qui triche dans les casinos, NDLR], qui est inspiré par une personne qui existe vraiment, est quelqu’un qui joue tout le temps, qui perd tout, qui est obligé de recommencer sa vie à zéro… C’est le genre de personnage qui finit par dire des choses comme: 'La vie n’a pas de but', 'la vie n’a pas de sens', etc. C’est quelque chose que je sentais près de Dutronc, qui lui-même devait se sentir près de Gainsbourg. Je pense que d’une manière ou d’une autre cela passe à l’écran."

"La Vierge des tueurs"
"La Vierge des tueurs" © 1999 Les Films du Losange - Le studio Canal+ - Tous droits réservés.

Menacé lors de son tournage en Colombie pour La Vierge des tueurs (1999)

"Mon tournage le plus dangereux s’est déroulé à Medellín en Colombie pour La Vierge des tueurs. Le maire de Sabaneta nous a empêchés de tourner dans sa commune [située à une quinzaine de kilomètres de Medellín, NDLR]. La police nous a convoqués pour nous dire que nous ne pouvions pas y tourner. Ils venaient d’interrompre une scène et on devait poursuivre à tout prix le tournage pour la finir. Le directeur de production colombien, qui était très courageux, ne voulait pas se laisser faire. Il leur a dit qu’ils n’avaient pas le droit de faire ça et qu’ils allaient avoir des ennuis politiques, s’ils continuaient. Le maire répétait qu’il ne voulait pas d’ennuis et de mauvaises images de sa ville. Ce à quoi mon directeur de production a répondu: ‘il y a quinze jours, douze jeunes gens ont été retrouvés à l’entrée de la ville les mains attachés derrière le dos, une balle dans la tête. Ce n’est pas tellement une ville tranquille’. Réponse du maire: 'Oui, mais ceux-là, ils avaient été prévenus et moi, je vous préviens'. C’était clair. Ça signifiait que l’on allait avoir des problèmes si on continuait à tourner La Vierge des tueurs [qui raconte la relation forte que noue un écrivain et un jeune homme, tueur pour les cartels, NDLR]. On a disparu pour tourner en intérieur. Puis, on a remué ciel et terre et grâce à ce directeur de production génial, on a pu finir le tournage de la scène. A ce moment-là, on était entouré par la police de Medellín qui nous protégeait. C’était assez coriace. La Vierge des tueurs est pas loin d’être mon film préféré, avec Barfly, d’après un scénario de Bukowski."

Jérôme Lachasse