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Lisa Azuelos: "Dalida est un film sur la solitude, sur la quête de l'amour et de la mort"

Sveva Alviti et Lisa Azuelos sur le tournage de "Dalida"

Sveva Alviti et Lisa Azuelos sur le tournage de "Dalida" - Copyright Luc Roux

ENTRETIEN - La réalisatrice de LOL revient avec un biopic consacré à la célèbre interprète de Paroles, Paroles.

"En fait, c’est Dalida qui m’a choisie depuis le ciel, mais si je raconte ça les gens vont flipper”. Une semaine avant la sortie de Dalida, le biopic qu’elle a consacrée à la célèbre chanteuse, Lisa Azuelos s’autorise une petite boutade. On pourrait la prendre au mot tant la métamorphose de l’actrice Sveva Alviti en Dalida est criante de vérité.

La réalisatrice de Comme t'y es belle!, LOL et d’Une rencontre a reçu BFMTV.com dans les bureaux parisiens de l’agent Dominique Segall. Nous avons évoqué avec elle la manière dont elle a reconstitué la France des années 1970, la place qu’occupe la musique dans ses films ainsi que son intérêt pour la philosophie. Un intérêt qu’elle partage avec Dalida.

La musique a toujours eu une place importante dans vos films…

Je ne peux pas imaginer une histoire sans la musique qui va avec. Ma chance avec Dalida est que je raconte l’histoire de celle qui chante. Ce n’est pas une mise en abyme, mais une mise en lumière de ses chansons. Dans tous mes films, j’utilise toujours ce procédé. C’est comme cela que fonctionne mon cerveau. Dès le début, je sais que je vais illustrer telle scène avec telle chanson.

Vous avez écrit le scénario de Dalida en fonction des chansons?

Non, mais je l’ai écrit en parallèle. J’écrivais puis je me disais: 'Là, il va y avoir telle chanson pour illustrer'. Quand elle était avec le jeune garçon, Il venait d’avoir 18 ans me paraissait logique. Quand elle se fait draguer par Nicolas Duvauchelle [qui joue Richard Chanfray, un des derniers amants de Dalida, ndlr], je savais qu’il y avait Paroles, paroles de Delon. Pour les scènes de concert, j’ai dû déterminer ce que je devais filmer sur et hors scène.

"Raconter la vie de quelqu'un de connu, c'est chiant"

Vous avez choisi de laisser les titres de Dalida en entier. C’est assez rare au cinéma...

J’écris mes scènes en fonction des chansons. J’en ai minuté certaines pour savoir combien de temps j’avais pour filmer. Sur Bambino, par exemple, je sais que la chanson dure trois minutes et que j’avais donc besoin de trois minutes d’images. Et je sais aussi que pour raconter comme dans un clip les premiers succès de Dalida, je vais avoir besoin d’une vingtaine de scènes.

Vos précédents films racontaient des histoires de groupes (Comme t'y es belle!), des duos mère-fille (LOL), des liaisons amoureuses (Une rencontre). C’est la première fois que votre personnage principal est quelqu’un de seul.

C’est enfin un film où je parle de la solitude. On peut être seul même quand on est en groupe. Mais, là, j’assume. C’est une solitude assumée. C’est le sujet du film. C’est important quand on fait un film de savoir de quoi on parle. Raconter la vie de quelqu’un de connu, c’est chiant parce que, par définition, il est connu. Il faut aller chercher autre chose. Je savais donc que Dalida serait un film sur la solitude, sur la quête de l’amour et de la mort. Eros et Thanatos.

Au début du film, Dalida cite Heidegger et son concept de l’être-vers-la-mort.

C’est mon petit côté intellectuel (rires). Je ne sais pas si Dalida lisait Heidegger, mais son mec oui [Luigi Tenco, qui s’est suicidé à Sanremo en 1967, ndlr]. Je n’ai pas lu Heidegger, mais ce concept en allemand de "Sein zum Tode" [être-vers-la-mort, concept présenté dans Être et Temps, publié en 1927, ndlr], qui est très difficile à traduire en français, m’a beaucoup intéressée à l‘époque où j’ai fait beaucoup de philo: le fait d’être vivant, c’est le fait d’aller vers la mort. C’est complètement abject. C’est un oxymore. J’aimais bien que Dalida, avec sa candeur, dise: "C’est l’être vers l’amour". Pour moi, il n’y a que l’amour qui transcende la mort. Et c’est ce que le film essaye de raconter aussi.

"Dalida n'est pas passée loin du bonheur"

Vous avez écrit en collaboration avec Orlando le scénario du film. Comment éviter l’hagiographie?

Orlando m’a vraiment laissée très libre. J’ai été nourrie par plein de choses: Orlando, Internet, les journaux intimes ainsi que les interviews de Dalida. C’est quelqu’un qui a laissé beaucoup de traces. Cela suffit pour se faire sa propre opinion de Dalida, pour créer un personnage.

C’est une histoire très triste, ponctuée par plusieurs suicides. Comment faire pour ne pas basculer dans le pathos?

Je n’aime pas le pathos. Je suis attirée par la lumière. Dalida était très triste mais en même temps il y a une lumière qui s’échappe de son parcours: il y a une quête d’amour. Elle n’est pas passée loin du bonheur...

Dalida est votre premier film historique. Au début, vous filmez avec attention la reconstitution des années 1960. Puis, au fur et à mesure, vous vous concentrez sur les visages, les corps. L’époque disparaît un peu.

Je n’ai pas voulu que la reconstitution historique soit ostentatoire. D’abord, je n’en avais pas les moyens. J’ai eu un budget de 13 millions d’euros, ce qui n’est pas énorme pour un film d’époque. Ensuite, cela ne m’intéressait pas. J’ai toujours dit que je voulais filmer l’intime. Filmer l’intime, cela signifie que l’on ne recrée pas le Paris des années 1970 avec des milliers de figurants et des voitures d’époque. J’ai fait un film contemporain pour que les gens soient concernés par le destin de Dalida. J’ai voulu filmer les années 1970 comme on aurait filmé les années 2010. Il y a cependant un vrai travail à la caméra pour qu’il y ait un grain particulier. Ce n’est pas le même traitement de l’image entre les années 1930, quand elle naît au Caire, et les années 1970. Et des années 1970 à 1987. Il y a un changement de peps, d’énergie. On le sent mais on ne le voit pas. J’ai fait en sorte que cela ne soit pas lourd. J’avais envie que l’on sente la continuité de la vie malgré le changement d’époque.

Dans le dossier de presse, vous avez expliqué que vous aviez envisagé les costumes de Dalida non en fonction des modes, mais des hommes de sa vie. Pourquoi?

Selon les hommes avec qui elle est, elle adopte un style différent. Elle avait son propre style mais elle ne s’habille pas de la même manière si elle est avec un homme un peu sexy comme Richard Chanfray, le Comte de Saint-Germain, ou quelqu’un de très classique comme Lucien Morisse, son premier mari. On a donc décidé de l’assortir à ses hommes parce qu’elle a cherché tout au long de sa vie l’idée du couple.

Jérôme Lachasse