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Cannes 2017: Barbet Schroeder présente son documentaire choc, Le Vénérable W.

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- - Copyright Les Films du Losange

ENTRETIEN - Le cinéaste, à l'honneur au Centre Pompidou, se déplace sur la Croisette où est projeté son nouveau film, Le Vénérable W., consacré à un moine bouddhiste extrémiste.

Honoré au Centre Pompidou, Barbet Schroeder présente ce samedi 20 mai au festival de Cannes Le Vénérable W., un documentaire consacré au moine bouddhiste extrémiste U Wirathu. Avec ce film, il conclu sa "trilogie du mal", dont les volets précédents s'étaient penchés sur le dictateur ougandais Ali Amin Dada et "l'avocat de la terreur" Jacques Vergès.

Dans Le Vénérable W., présenté hors compétition à Cannes et en salle le 7 juin, le cinéaste s'est rendu en Birmanie pour rencontrer celui que le magazine Time a surnommé en juillet 2013 "le visage de la terreur bouddhiste". Celui-ci, que Schroeder a surnommé W., a contribué par ses sermons au massacre des musulmans en Birmanie. Dans son documentaire, le cinéaste explore comment les mots du moine ont pu embraser le pays. Un fascinant voyage au cœur de l'extrémisme.

BFMTV.com a pu rencontrer quelques jours avant le Festival de Cannes le cinéaste dans les locaux des Films du Losange, qu'il a cofondé avec Eric Rohmer en 1962.

Avez-vous vraiment approché Wirathu en le comparant à Marine Le Pen?

Oui. J'ai dit à W. que le public français était intéressé de voir comment on faisait pour appliquer des lois anti-musulmanes et comment lui avait réussi à faire appliquer ses lois. Aung Suu Kyi aimerait maintenant les faire disparaître, mais ce n’est pas une mince affaire. W. a dit que si elle essayait de détruire ces lois, elle allait se retrouver en situation de guerre civile. Il a fait des menaces très précises.

Est-ce que Wirathu connaissait Marine Le Pen?

Non (rires).

Vous n’aimez pas filmer la violence, pourtant Le Vénérable W. est un film assez violent, assez dur.

Si vous saviez ce que je n’ai pas mis dans la film… Ce que j’ai mis, c’est rien du tout comparé à ce que j’avais. J’avais des choses… Je ne peux même pas y penser… Des gens brûlés vifs qui bougeaient encore et sur lesquels on jetait des énormes pierres sur leur tête... Des trucs horribles. Alors, un type qui se tourne et quelqu’un qui dit 'laisse-le mourir', c’est littéralement rien à côté de ce que j’avais. Mais en même temps, c’est ce qu’il y a de plus terrible. Il fallait montrer ce dont on parle.

Comment vous avez réuni les documents présentés dans le film?

Il y a différentes sources. Il y a des gens des droits de l’homme qui accumulent des témoignages et des documents. Ils s’en servent pour apporter des preuves ou faire comprendre aux gens ce qu’il se passe.

Wirathu est-il aussi appelé W. en Birmanie?

Non. C’est moi qui n’ose pas prononcer son nom (rires). J’ai peur de le prononcer (rires).

Pourquoi?

Je ne sais pas. C’est une superstition (rires).

Pouvez-vous présenter le court métrage Où en êtes-vous Barbet Schroeder? que vous avez réalisé pour le Centre Pompidou et est une introduction au Vénérable W.?

J’ai passé neuf mois à monter Le Vénérable. On s’est arraché les cheveux, on a raccourci le film pour qu’il ne soit pas trop long. Puis, parallèlement, Pompidou a décidé de faire la rétrospective et m’a demandé, avec insistance, de réaliser un court-métrage. Je leur ai dit que je ne pouvais pas, que je travaillais seize heures par jour, sept jours sur sept. Puis j’ai fini par réaliser ce court-métrage à partir d’éléments que j’avais, dont une interview du philosophe Bernard Pautrat sur la haine qui devait être dans Le Vénérable… Tout cela n’a pas été aussi supervisé que Le Vénérable, mais je dois reconnaître que le film est complètement réussi. Ça marche du tonnerre. Tout le monde veut le mettre en court métrage avant le film. Je suis opposé, parce que le film risque de paraître trop long. Je veux bien qu’on le passe après, mais pas avant. On verra comment cela se passe.

Pourquoi avoir choisi l'actrice Bulle Ogier pour la voix off?

Parce que j’ai trouvé que cela faisait un personnage supplémentaire au film. Elle était la plus expressive, la plus unique… mais je ne voulais pas que les gens sachent que c’était Bulle Ogier, donc j’ai gardé la surprise pour la fin.

Lorsqu’elle dit "nous", elle parle au nom des bouddhistes?

Voilà, c’est ça. C’est "nous, les bouddhistes". Au départ, c’était même dans ma tête Aung Suu Kyi, qui est bouddhiste et n’est pas du bord de Wirathu. Je voulais qu’il y ait cette voix des bouddhistes normaux. Je voulais qu’elle soit présente dans le film, comme je voulais que les paroles de Bouddha soit présente pour contrebalancer.

Depuis que vous avez fini votre tournage, la situation s’est aggravée en Birmanie. Il y a eu notamment l’assassinat d’U Ko Ni, avocat de confession musulmane et proche d’Aung Suu Kyi.

On ne sait pas qui l’a commandité. Tout ce que l’on sait, c’est que c’est un meurtre qui profite aux militaires. Il a été organisé par quelqu’un d’autre que celui qui l’a commis. Il se trouve que d’autres gens ont été mêlés à ce meurtre et qu’ils appartiennent à des organisations bouddhistes extrémistes. Wirathu a pris parti pour les responsables de ce meurtre. Il a déjà reconnu que l’assassin n’était pas seul, contrairement à ce qui avait été laissé croire dans un premier temps. Un des plus célèbres journalistes birman a dénoncé Wirathu qui faisait l’apologie du meurtre. Wirathu et ses proches l’ont accusé de s’attaquer à la justice et lui ont collé un procès. Il risque trois ans de prison. Après deux mois d’attente, il a appris que l’affaire était réglée, mais on sait jamais. Les moines du conseil des moines, qui est un organisme gouvernemental, se sont un peu énervés. Ils ont décidé d’interdire Wirathu de parole. Pendant un an, il n’a plus le droit de faire de sermons dans le pays. Réponse de Wirathu: il a organisé des réunions où il apparaît avec un bandeau sur la bouche. A ses côtés, un haut parleur diffuse des anciens sermons. Maintenant, si le pouvoir veut agir contre Wirathu, il prend le risque d’une vraie épreuve de force.

Jérôme Lachasse