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Cinéma

Pourquoi Ça fait-il plus peur que les autres films d'horreur?

Bill Skarsgård, l'interprète du terrifiant Pennywise

Bill Skarsgård, l'interprète du terrifiant Pennywise - Warner Bros.

Ça débarque dans les salles françaises déjà auréolé de son succès américain. La nouvelle adaptation du roman culte de Stephen King y bat des records au box office. Anatomie d’un phénomène.

Sale temps pour les clowns. Les augustes tristes au visage plâtré, mais aussi les gentils au nez rouge, maladroit avec leurs chaussures trop grandes. Depuis la sortie de Ça, de Stephen King en 1986, les clowns ne font plus rire. Et ce n’est pas prêt de s’arranger: une nouvelle adaptation du roman sort ce mercredi dans les salles françaises.

La peur du clown fonctionne toujours. Le film signé par l’Argentin Andy Muschietti (Mamá) est déjà un succès au box office américain, loin devant les autres grosses productions horrifiques. Selon Forbes, Ça a engrangé 250 millions de dollars dans le monde, une semaine seulement après sa sortie. Il a ainsi réalisé le meilleur démarrage de tous les temps pour un film d'horreur (il est interdit aux moins de 17 ans). Un triomphe inespéré pour un film qui n'a coûté que 35 millions de dollars. Le comble c’est qu’il est autant apprécié par la critique que par le public.

Comment Ça parvient-il à se hisser ainsi au-dessus de la mêlée? Et à hérisser le poil des amateurs de sensations, déjà gavés de Conjuring, Annabelle et autres I Wish, faites un voeu.

Une peur enfantine

L’histoire, imaginée par Stephen King, jamais à cours d’idées quand il s’agit d'affoler les malheureux lecteurs, est le premier ingrédient de cette recette miraculeuse. Dans une petite ville américaine fictive de la côte Est des Etats-Unis, les enfants disparaissent mystérieusement. Un groupe de sept pré-adolescents rejetés et moqués par leurs camarades de classe, "le club des losers", tente de lutter contre cette malédiction. Et se retrouve confronté à une entité maléfique qui revêt l’apparence d’un clown pour approcher les enfants et les enlever.

Le clown, appelé Grippe-Sou (Pennywise en V.O.), se nourrit des peurs des enfants et s’en sert pour les tuer. Terreur garantie. De quoi raviver surtout les peurs de ceux qui ont été marqués par la mini-série et rêvent de replonger. Car Ça a d’abord été un téléfilm en deux parties diffusé sur ABC en 1990. En France, c’est sur M6 qu’il a effrayé les enfants cachés derrière le fauteuil du salon, en 1993, sous le titre de Il est revenu.

Les eighties, époque dans le vent

Avec une intrigue située au milieu des années 1980, Ça surfe également sur le retour en grâce de cette époque. Le film emprunte des références aux films d’ado des années Goonies et E.T., tout comme le faisait la récente série à succès de Netflix Stranger Things qui rappelle les plus grandes heures de Steven Spielberg et.

Ça se réapproprie même une partie du casting de Stranger Things, en la personne du jeune acteur Finn Wolfhard.

Stephen King, maître de l’angoisse ultra-populaire

On ne compte plus les adaptations de romans du prolifique et très populaire Stephen King. De Carrie (Brian de Palma, 1976) à Misery (Rob Reiner, 1990), en passant par Shining (Stanley Kubrick, 1980), La ligne verte (avec Tom Hanks, en 1999) ou Les évadés (avec Morgan Freeman et Tim Robbins, en 1994).

Mais ce qui le rend sans doute si populaire, outre les plus de 350 millions d'ouvrages écoulés à travers le monde, c'est aussi la transposition de son oeuvre sur le petit écran.

Les téléfilms tirés de son oeuvre sont légion. Comme Under the dome, Le fléau, Désolation, Simetière, une série tirée de Dead Zone... Stephen King, qui n'a jamais caché sa détestation du film de Kubrick a même signé le scénario d'une mini-série Shining.

Toutes ces adaptations ne rencontrent cependant pas le succès. La Tour sombre, sorti le 9 août dernier avec des stars comme Idriss Elba et Matthew McConaughey, est ainsi passé relativement inaperçu.

"Ça", l'un des romans les plus marquants de Stephen King
"Ça", l'un des romans les plus marquants de Stephen King © Le Livre de poche

L'acteur sous le monstre

Son succès, Ça le doit peut-être à son personnage principal, le clown Pennywise. Il est ici campé par Bill Skarsgård (Divergente 3: Au-delà du mur). Un défi de taille pour l’acteur de 27 ans qui a dû réinventer cette figure du cinéma d'horreur, bien connu du public.

Car avant lui, Tim Curry (The Rocky Horror Picture Show) a marqué une génération dans ce rôle. Comme Carrie White (incarnée par Sissy Spacek), l'adolescente télékinésiste recouverte de sang lors de son bal de promo, l'image de Pennywise est ancrée dans l'imaginaire collectif depuis sa première adaptation télévisuelle.

Le clown, une peur primaire

Stephen King a si bien saboté le métier de clown, que la présidente de la World Clown Association a poussé un coup de gueule contre la montée de coulrophobie ambiante (la peur des clowns).

"Tout a commencé avec le Ça d'origine, qui a introduit le concept de ce personnage", a-t-elle déclaré, très remontée, dans le Hollywood Reporter, le 28 août dernier.

"C'est un personnage de science-fiction. Ce n'est pas un clown et ça n'a rien à voir avec l'activité de clown professionnel." Et d'ajouter: "Des gens ayant des spectacles scolaires ou en bibliothèques ont été obligés d'annuler leurs shows. C'est très regrettable. Les messages positifs et importants que nous essayons de délivrer ne passent pas."

Stephen King prend la chose avec beaucoup de philosophie, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’il est visé par l’ire des clowns. En avril dernier, il avait ainsi tweeté: "Les clowns sont fâchés contre moi. Je suis désolé, la plupart sont géniaux, mais les enfants ont toujours eu peur des clowns. Cela ne vient pas de moi."

De fait, la coulrophobie, classée à la cinquième place des peurs les plus répandues par le site Mashable, ne date pas d'hier. De nombreux psychologues situent ses origines au XVIe siècle, avec les bouffons de la Cour royale d'Angleterre.

La psychologue à l'Institut de psychologie des enfants de New York Alexandra Hamlet analyse pour l'AFP ce rejet des clowns, l'expliquant par le phénomène de "vallée dérangeante". Une théorie du roboticien japonais Masahiro Mori selon laquelle les répliques de l'apparence humaine légèrement altérées provoquent un sentiment de rejet. Jason Blum, producteur de Paranormal Activity et American Nightmare, propose une explication plus terre-à-terre:

"On ne voit aucun vestige de la personne qu'ils sont vraiment", explique-t-il. "Le visage du clown masque l'humain (...) et je pense qu'avoir un visage peint en blanc, en général, c'est quelque chose de très effrayant".

Bonne pub et mauvaise pub

Résultat, en plus de la grosse machinerie marketing de Warner, sous forme d'un savant teasing destiné à faire saliver les fans et de nombreuses bande-annonces, le film a bénéficié d’une autre forme de publicité. Involontaire, celle-ci.

Depuis quelques années, et particulièrement à l'approche d'Halloween, les apparitions inquiétantes de clowns se multiplient aux États-Unis. L'initiative de farceurs un peu vicieux mais généralement inoffensifs - dont l'objectif est souvent de publier les réactions de passants terrifiés sur Youtube - prises malgré tout très au sérieux par les autorités.

Récemment, la tendance s'est propagée en Europe, avec des conséquences parfois dramatiques: en 2016 en Suède, un jeune homme a été poignardé par une personne affublée d'un masque de clown. La France n'est pas épargnée: plusieurs signalements ont eu lieu dans le Nord, entre 2014 et 2015. Nouvelle preuve du profond ancrage de ces bouffons modernes dans l'imaginaire collectif.

Un film d'horreur et plus encore

Interrogé sur les raisons du succès de son film, le réalisateur Andy Muschietti a livré son analyse à Gizmodo. Selon lui, ce qui différencie Ça des productions similaires, c'est l'émotion que la bande d'enfants génère au sein du public:

"Je ne pense pas que les spectateurs s'attendaient à être si impliqués émotionnellement dans l'histoire", a-t-il avancé. "Quand j'entends (les réactions) ou que je les lis, je vois que les gens sont très attachés au voyage de ces enfants. Ce qui n'arrive pas souvent dans les films d'horreur." 

Le cinéaste met par ailleurs en avant l'histoire d'émancipation de cette courageuse bande de pré-adolescents, toile de fond de l'intrigue:

"Ça est une histoire qui pourrait être racontée sans les éléments fantastiques. C'est une histoire sur une groupe de gamins qui se sentent seuls et opprimés, et qui apprennent à devenir puissants en s'unissant. (...) C'est une histoire humaine."

Xavier Dolan grand fan du film, offre une analyse et une bonne publicité au film.

"Allez voir Ça. Pour l'amour de votre enfance, pour les peurs que vous avez enfouies et que vous n'avez pas osé exprimer. Pour la beauté extrême, maussade, magistrale de sa photographie et de ses décors".

Ou comment être adoubé par le pape du cinéma d’auteur.

Benjamin Pierret et Magali Rangin