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Michel Legrand: "Il y a beaucoup de médiocres dans la musique aujourd'hui"

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- - Michel Legrand & ses amis

A l'occasion de la sortie de l'album Michel Legrand & ses amis, le compositeur français, à qui l'on doit les partitions célèbres des Parapluies de Cherbourg ou Un été 42, s'est confié à BFMTV.com. Rencontre avec un artiste passionné, perfectionniste et infatigable à la carrière hors-norme.

Dans le monde de la musique (de films, notamment), il reste une légende vivante. Trois Oscars, des millions d’albums vendus travers le monde, des collaborations avec les plus grands… Michel Legrand a tout connu. Le compositeur sort ce vendredi un nouvel album Michel Legrand & ses amis où des artistes interprètent ses plus grandes chansons et des titres inédits. A 83 ans, le compositeur des Demoiselles de Rochefort reste un boulimique de travail. Pour BFMTV.com, il évoque ses projets (nombreux), revient sur sa carrière (riche) et livre son regard (sévère) sur la musique aujourd’hui.

Prenez-vous toujours autant plaisir à jouer, comme dans ce nouvel album, les succès que vous avez composés il y a de nombreuses années?

Bien sûr, car la chanson est un format formidable. C’est un opéra qui dure 4 minutes, avec des notes joyeuses ou tristes. Il y a des textes, de la musique, un orchestre. Il y a tout dedans. J’ai tellement aimé ça que toute ma vie, j’ai écrit plein de chansons avec des grands auteurs comme Louis Aragon ou Claude Nougaro. Ce n’était ni des chansons commerciales faciles à trois notes, ni des arias d’opéra ambitieux ou prétentieux, mais des chansons d’art, des chansons intelligentes… Mais la plupart des 300 chansons que j'ai écrites n’ont jamais été chantées.

Comment avez-vous choisi les artistes qui figureraient sur ce nouvel album?

Très simplement, puisque ce sont des amis et des interprètes de grandes qualités comme Hélène Ségara, Maurane, Vincent Niclo ou Muriel Robin. Avec mon épouse Macha (Méril, NDLR), on a fait une nouvelle chanson également pour Christophe Willem à partir d’un thème musical écrit il y a longtemps. Laurent Gerra participe également pour la chanson Ca va dans laquelle deux petits vieux se racontent leurs problèmes. Il a accepté de les imiter, ça fait une ponctuation amusante au milieu de l’album.

"J'ai trouvé minable l'attitude de certains réalisateurs"

Christophe Willem vous décrit comme "un compositeur en dehors des codes". Acceptez-vous cette définition?

Je n’ai jamais appartenu à aucune filiale, aucune école, aucune mode. Quand j’ai travaillé pour le cinéma français ou américain, j’étais presque toujours à contre-courant. Je cherche toujours une idée originale, je ne veux pas faire une musique qu’on attend. Quand je vais au cinéma aujourd’hui, j’entends la musique et je m’emmerde… J’ai entendu ça 500 fois. Dans mes compositions, c’est toujours intéressant. On aime ou on n’aime pas, ça m’est égal, mais c’est original, il y a des idées, de l’imagination, ça parle. Au cinéma, la musique est un nouveau dialogue. Elle doit raconter, ce n’est pas quelque chose de plat. Il y a beaucoup de metteurs en scène qui m’ont dit: "Mais si je mets ta musique sur ma scène, on ne voit plus ma scène". Je répondais: "Non, c’est très bien, on entendra ma musique!" Souvent, j’ai des problèmes avec des réalisateurs. Quand j’ai fait La Bûche avec Danièle Thompson par exemple, elle a mis ma musique tellement loin. Je trouve ça minable…

Vous n’êtes jamais à cours d’inspiration. Vous n’avez jamais eu le syndrome de la "partition blanche"?

Non, car je change tout le temps de discipline. Dans les années 1950, j’étais orchestrateur/arrangeur, je travaillais aux Etats-Unis pour Sinatra, à Paris pour Montand. J’ai travaillé avec des gens célèbres, car j’avais toutes les audaces. Mais au bout de dix ans, ça m’intéressait moins donc je ne pouvais que chuter et finir dans la misère comme tous les autres. Alors en pleine gloire, j’ai arrêté. Dans les années 1960, j’ai travaillé dans le cinéma français pour la Nouvelle Vague pendant dix ans. A la fin, j’ai dit à Godard et aux autres: "Ne m’appelez plus, c’est fini, je pars à Hollywood". J’y suis resté quinze ans. Et puis j’ai fait des chansons, du jazz, j’ai enregistré avec Miles Davis... Quand on se renouvelle, on ne s’use pas. Je ne suis pas tellement fier de tout ce que j’ai fait, mais je n’ai honte de rien.

Au final, pour qui composez-vous ? Pour le public ? Pour les metteurs en scène?

Pour moi ! Les gens croient qu’on travaille pour eux, mais non ! (rires). Je veux m’épater. J’essaye sans cesse de trouver des idées.

Vous portez un regard très sévère sur la musique d’aujourd’hui, notamment la musique de films et ceux qui la font. Pourquoi?

Parce qu’il y a tellement de médiocres!

Même un compositeur comme Alexandre Desplat, dernier lauréat aux Oscars, ne trouve pas grâce à vos yeux?

Oui, c’est pas mal... Mais il clone ce qu’il fait depuis toujours. Il n’y a pas de thèmes, pas d’harmonies. On ne sait pas bien ce que ça veut dire. Ce n’est pas une musique qui vous raconte des choses. On dirait des tapisseries qu’on met chez soi et qu’on change parce que c’est moche…

Vous ne vous êtes jamais fait d’ennemis dans ce milieu?

Non. Mais moi, j’ai de l’admiration pour les génies. Quand je regarde le travail de Jean-Jacques Sempé par exemple, je passe une après-midi sublime. Muriel Robin, Maurane, Hélène Ségara sont formidables aussi. D’ailleurs, on va faire un disque au Brésil avec Maurane l’an prochain. Il y a toujours des aventures à tenter avec des gens intéressants.

"Je suis un artisan forcené. Si on veut rester le meilleur, il faut travailler tout le temps."

Seriez-vous tenté de refaire une comédie musicale comme à l’époque des Parapluies de Cherbourg ou des Demoiselles de Rochefort avec Jacques Demy?

Oui, mais ça dépend avec qui. Avec Macha, mon épouse, on a écrit un opéra qu’on jouera l’an prochain. C’est un opéra de chambre avec quatre personnes en scène. On va utiliser la musique comme on ne l’a jamais fait jusqu’à ce jour. Ca sera une petite révolution dans le métier, c’est tellement original. On va peut-être se ramasser, les gens ne vont peut-être pas comprendre mais ce sera notre sang, notre imagination, le résultat de notre travail. C’est comme ça comme fait des œuvres, en faisant des choses à contre-courant.

Que pensez-vous des comédies musicales françaises à l’affiche en ce moment?

Je n’y vais pas. Ca m’est égal… Vous savez, les miennes étaient un genre musical. Quand on a fait Les Parapluies de Cherbourg, personne ne voulait le faire. Mais quand on a rencontré le succès, tous les producteurs nous rappelaient. Sauf que c’était fini, déjà fait. On ne peut pas cloner ça... J’adore par exemple Cabrel, Souchon et Voulzy, ils ont du talent, mais ils clonent leurs chansons. Elles se ressemblent toutes tellement, j’ai l’impression qu’ils me racontent toujours la même chose. Si on écrivait Les Parapluies de Cherbourg toute notre vie, on serait des merdes. Ce n’est pas possible. Croyez-en l’expérience d’un vieux diplodocus dans mon genre, j’ai toujours changé. Et ce qui est formidable, c’est que le public m’adore. Partout où je fais des concerts, à mon plus grand étonnement, c’est plein. Mais à 83 ans, je travaille mon piano tous les jours. Je suis un artisan forcené. Si on veut rester le meilleur, il faut travailler tout le temps. 

"Au lendemain des attentats de Paris, c’est le public qui m'a fait jouer sur scène."

L’un de vos premiers albums s’appelait I Love Paris, une phrase qui a une résonance particulière avec les drames récents qui ont touché cette ville. Comment les avez-vous vécus?

Ce sont des événements monstrueux... Moi qui suis un aventurier de nature, qui ai parcouru le monde, qui ai essayé de bousculer les choses pour qu’on avance, quand je vois cette haine imbécile, ces pauvres jeunes gens qui croient devenir des héros en sacrifiant leur vie, ils vont être vachement déçus… Ils vont se trouver cons comme des balais. C’est affreux… Mais évidemment, il faut faire attention, c’est un peu effrayant. J’ai toujours peur pour les miens, pour les gens que j’aime. Mais je n’ai pas peur pour moi.

On a vu des artistes prendre la plume pour exprimer leur émotion après les attentats à Paris. Est-ce que pour vous, celle-ci s’exprime aussi par la musique dans ces moments-là?

C’est intéressant, car justement, je devais faire un concert en trio à la Baule le lendemain des événements du vendredi 13 pour un Festival de cinéma et de musiques de films. Et je ne savais pas si j’allais faire le concert… On n’allait pas sautiller évidemment ce soir-là. Je ne voyais pas comment faire. J’ai réfléchi toute la journée. Finalement, j’ai fait le concert. Sur scène, je n’ai pas dit un mot et j’ai commencé en improvisant un requiem de 10 minutes, c’est-à-dire une musique reliée aux événements, à la mort, au danger, à la haine. C’est l’instinct ça... Ca a été ressenti formidablement bien. On n’a pas parlé, on a juste joué des choses de cinéma, parce qu’on s’adapte. Dans ces moments-là, c’est le public qui vous fait jouer. Et en fonction de lui, on joue différemment.